Inégalités
sociales :
Deux Approches Sociologiques
Les
inégalités sociales font l'objet de différentes approches en
sociologie. Pour Erik Olin Wright, ces approches se rattachent toutes
plus ou moins à deux grandes traditions de pensée.
La
première met l'accent sur l'analyse des attributs individuels. La
seconde tente de mettre au jour les structures sociales qui
sous-tendent les inégalités.
Ces
deux traditions débouchent sur des conceptions différentes des
classes sociales. Enfin, elles sont liées à des implications
normatives qui mettent en avant des demandes d'équité ou de
démocratie.
Les
inégalités sociales expliquées par les attributs
La
fable d’Ésope sur la Cigale et la Fourmi est une fable sur
l'inégalité.
La
fourmi passe l'été à accumuler de la nourriture et la cigale à
chanter. Au début de l'hiver, la première est riche. La seconde est
pauvre, sans réserve et affronte la famine.
L'inégalité
matérielle des deux insectes reflète les efforts qu'ils ont
fournis. Et ces efforts sont l'expression de leurs attributs
individuels. La fourmi est travailleuse et prévoyante. La cigale est
nonchalante et insouciante.
Au
fond, cette manière d'expliquer les inégalités sociales est
largement répandue.
Très
concrètement, tout au long de notre vie nous sommes jugés, notés,
évalués, appréciés sur la base de nos actes et de nos
productions. Et ces derniers sont envisagés comme résultant de
capacités ou de qualités/défauts personnels : talents,
savoir-faire, connaissances, intelligences...
Toutefois
cette approche doit nécessairement dépasser le niveau d'analyse
strictement individuel pour s'intéresser à la dimension sociale.
En
effet, on ne compte plus les études qui mettent en évidence
l'importance des facteurs sociaux dans l'acquisition des capacités
des gens. Les savoirs, les manières de se tenir, de parler, de
penser, d'agir... sont sous l'influence de l'école et des études
supérieures, du milieu familial, du voisinage, du genre...
La
dimension sociale intervient aussi par un autre mécanisme : la
sélection des attributs qui sont valorisés économiquement.
Sur
le marché du travail, tous les savoirs et toutes les compétences ne
se valent pas. Par exemple, les aptitudes au commandement et à
l'organisation sont peut-être plus recherchées et mieux rémunérées
par les entreprises que l'empathie ou la créativité.
Les
inégalités matérielles résultent donc largement de facteurs
sociaux. Non pas que ces facteurs agissent directement sur la
distribution des revenus. Mais ils opèrent indirectement en pesant
sur l'acquisition des capacités individuelles valorisées
économiquement.
Max
Weber appelle ce phénomène l'inégalité des chances sur le marché.
La
conception graduelle des classes sociales
L'explication
des inégalités par les attributs personnels est souvent associée à
une conception graduelle des classes sociales. Les classes sont vues
comme des barreaux sur une échelle. Elles sont définies comme
"supérieures" ou "inférieures" les unes aux
autres. Leurs noms reflètent strictement une approche quantitative :
classe supérieure, classe moyenne-supérieure, classe
moyenne-inférieure...
C'est
cette vision qui est adoptée lorsqu'on parle de l'émergence ou du
déclin de la classe moyenne. Ou encore quand on appelle à la
réduction de la pression fiscale qui pèse sur la classe moyenne...
Dans
la mesure où les caractéristiques individuelles expliquent où une
personne se situe dans la distribution des revenus. Elles expliquent
aussi la classe à laquelle elle appartient.
L'approche
normative de l'inégalité
Pour
E.O. Wright les tenants de cette approche militent souvent pour
davantage d'équité au sein des sociétés. Leur idée étant que
tous les individus devraient bénéficier des mêmes opportunités.
Dans
la fable d’Ésope cette équité est réalisée. Les inégalités
n'y résultent que de choix individuels : travailler ou pas ;
accumuler de la nourriture pour l'hiver ou chanter.
La
fourmi et la cigale peuvent être considérées comme entièrement
responsables de leurs choix et donc de leurs destins.
Mais,
le monde réel ne correspond pas au monde de la fable. Nous ne vivons
pas dans un champ. Chacun ne s'adonne pas à la même activité de
ramassage. L'enrichissement en fin de journée n'est pas égal au
nombre de graines ramassées.
Nous
vivons dans un monde où les emplois sont très diversifiés, par la
nature des tâches à accomplir. Et surtout, dans ce monde-ci,
certains travaux sont mieux rémunérés que d'autres.
Contrairement
à la cigale et à la fourmi, les êtres humains qui vivent dans les
sociétés capitalistes viennent occuper des emplois dont les niveaux
de rémunération sont établis avant qu'ils ne viennent les occuper.
L'inégalité
expliquée par l'approche structurale
L'approche
structurale des inégalités se développe à partir de ce constat.
La
distribution des revenus ne résulte pas seulement des qualités ou
des efforts fournis par les individus. Elle dépend aussi du
processus social qui crée différentes positions et les associent à
différents niveaux de rémunération et de pouvoir.
Des
attributs individuels, comme le niveau d'éducation ou les diplômes,
peuvent peut-être expliquer pourquoi telle personne finit à telle
position (ouvrier, cadre, PDG...). En revanche, qu'est-ce qui
explique pourquoi les positions sont distribuées comme elles le sont
? Pourquoi certains emplois sont-ils meilleurs que d'autres?
La
réponse proposée est que, dans nos sociétés, la création des
positions avec leurs caractéristiques spécifiques (rémunération,
temps de travail, opportunités d'évolution, sécurité de
l'emploi...) dépend des relations de pouvoir entre l’État, les
entreprises et les travailleurs.
Le
fait que les PDG des grandes entreprises gagnent plusieurs centaines
ou milliers de fois plus que les ouvriers reflète très directement
leur pouvoir d'établir leur propre salaire, en concertation avec les
comités de direction.
Les
horaires de travail erratiques dans l'industrie de la restauration
rapide ou dans la grande distribution résultent du pouvoir des
responsables d'établir les emplois du temps à leur convenance.
La
conversion des postes d'enseignants en contrats précaires découlent
directement du pouvoir des responsables politiques.
A
chaque fois que les travailleurs ont pu obtenir des améliorations de
leurs conditions, ils les ont gagnées à travers un rapport de force
(grèves, manifestations, votes)...
Conception
relationnelle des classes sociales
Cette
approche structurale des inégalités débouche sur une conception
relationnelle des classes. Ces dernières ne sont plus constituées
par des divisions le long d'une échelle de bas en haut, mais en
relation les unes avec les autres.
Dans
cette perspective, ce qui est important c'est d'identifier les
positions que les gens occupent dans la relation sociale qui
caractérise la société considérée.
Pour
Karl Marx, les sociétés capitalistes sont caractérisées par la
relation par laquelle les travailleurs sont rémunérés par les
propriétaires des moyens de production.
D'un
point de vue relationnel, ce qui compte avant tout, ce n'est pas
tellement que les capitalistes possèdent davantage de quelque chose
que les travailleurs. Ce qui prime c'est que les deux classes
occupent des positions différentes au sein de la relation qui les
définit.
Les
travailleurs sont ceux qui sont rémunérés pour leur travail, par
les capitalistes. Les capitalistes sont ceux qui rémunèrent les
travailleurs, qui dirigent leurs activités dans le monde économique
et qui s'approprient la sur-valeur de leur travail.
L'approche
normative de la démocratie
L'analyse
structurale tente d'identifier de quelle manière les différents
pouvoirs modèlent la distribution des positions sociales et donc des
conditions matérielles de vie.
Les
économies capitalistes impliquent une distribution très inégale de
ce pouvoir. Et c'est très précisément ce que signifie la propriété
privée des moyens de production. Les propriétaires ont le droit et
le pouvoir de disposer de leur propriété comme ils l'entendent.
En vertu de la
possession des moyens de production, ils exercent leur pouvoir en
définissant les activités à accomplir et les conditions de leur
accomplissement. Ils décident de l'affectation des rémunérations à
différentes sortes de position. Ils façonnent cette distribution en
pesant sur les politiques de l’État...
Au
cours des dernières décennies, les contraintes à l'exercice de ce
pouvoir se sont affaiblies, sous la bannière du néolibéralisme. Le
pouvoir des syndicats a périclité. La réglementation du travail a
été allégée dans le sens de la flexibilité. La concentration du
capital contribue à la concentration du pouvoir...
Dans
ce contexte, nous avons vu que l'approche des inégalités par les
attributs débouche sur une demande pour plus d'équité. L'idée qui
prévaut est que tous les individus devraient bénéficier des mêmes
opportunités. Dans cette perspective l'accent est mis, par exemple,
sur les politiques d'éducation, de formation et de lutte contre les
discriminations de genre, d'origine ou de religion.
L'approche
structurale des inégalités, qui est soutenue par E.O. Wright, est
sous-tendue par un idéal normatif de démocratie.
Elle
postule que le renversement des tendances actuelles dans la
distribution du pouvoir est essentiel pour espérer réduire les
inégalités structurales. A cet effet, la participation commune de
tous au pouvoir de définir les positions (les salaires, les temps et
les conditions de travail,...) constitue un prérequis indispensable.
A
ce titre, la position de E.O. Wright peut être rapprochée de celle
de Nancy Fraser. Pour la philosophe la parité de participation aux
décisions sociales, politiques et économiques constitue le
fondement nécessaire d'une société juste.
(Cet article a d'abord été publié sur le site secession.fr)
Références:
E.O.
Wright, Two Approaches to Inequality and their Normative
Implications,
https://items.ssrc.org/two-approaches-to-inequality-and-their-normative-implications/
Cette structuration sociale ne figure pas explicitement dans les constitutions des pays démocratiques. Elle n'est qu'implicite dans l'aliénation des masses. Cependant son impact social est presque équivalent aux castes qui existent explicitement dans la religion hindoue et qui dominent encore la société indienne, les déplacements des individus d'une classe à l'autre demeurant relativement faibles. Cette vision est purement économique, elle disparaît sur les plans ontologique et politique. Quoique dans les pays capitalistes nous constatons une tentative de domination ou d'alliance, voire une domination de fait du pouvoir économique sur le pouvoir politique.
RépondreSupprimer